Dans le train de Lille à Mulhouse – 08.06.2017
Mon premier séjour à Lille est terminé. Dix jours passent vite, très vite. J’avais initié un compte rendu sur ce blog dès le deuxième jour pour partager le travail des artistes que je rencontrais et les réflexions soulevées lors de ces échanges. Me voila parti, et je n’ai pas tenu le rythme que je m’étais fixé. Je suis désormais dans le train pour Mulhouse, deuxième étape de ma résidence nomade, et en profite pour revenir sur cette première période. Premier bilan en chiffre: 10 jours de résidence, 20 artistes rencontrés, 5 lieux d’expositions visités. La Malterie est un lieu surprenant, un bâtiment massif et sombre, les couloirs sont plongés dans une pénombre permanente, les fenêtres des ateliers d’artistes sont étroites et le plafond est très bas. J’avoue avoir eu du mal à déployer mes presque deux mètres. Malgré tout, les artistes sont présents (pour la plupart) depuis plusieurs années dans ces lieux et ont eu le temps de se créer une atmosphere propice au développement de leur pratique.
Mes premières rencontres ont été axés sur des problématiques liées aux territoires au sein des pratiques des artistes. Sarah Feuillas et son intérêt pour les architectures, leurs usages par des populations à qui l’on impose un habitat comme les réfugiés, déplacés. Manon Thirriot et ses recherches d’ordre géologique qui habitent ses marches dans des paysages mouvants. Galerie Rezeda et leur travail de balisage cartographique déployé en installation plurimédia. David Leleu, et son travail de découpe et composition d’inspiration topographique réalisé en scalpant des magazines Geo ou National Geographic dans leur épaisseur. Franck Populaire et ses peintures de paysage entre abstraction et réalisme. Pierre Yves Brest qui interroge l’image photographique non pour ce qu’elle représente et révèle d’une zone définie, mais plutôt pour ce qu’elle occulte. Armin Zhogi, dont l’installation, présentée à la Condition Publique à Roubaix, est une déambulation vidéo dans les rues de Téhéran associée à un travail sonore sur la mémoire et les souvenirs d’enfance. Léonie Young et ses photographies sur les traces du bâti, et les ambiguïtés du paysage. Je peux également ajouter à cette liste les pratiques de David Ayoun et de Ruchi Anadkat qui, chacun à leur manière, aborde la question du corps à travers des actions chorégraphiques en adéquation avec des lieux choisis. Le corps ancré dans un contexte social présent dans les series photographiques de Julie Maresq, à travers des série sur l’enfance, les codes, les stéréotypes et les normes qui lui sont associée. Les actions-performances du duo Mathilde&Juliette questionnant le statut de la femme, et les rôles qui lui sont assignés. Sébastien Hildebrand, Marie Clerel et Jérome Progin, chacun de leur coté, menant une reflexion sur les procédés mécaniques et les conditions d’apparition et de survivance de l’image.
Avant de partir en résidence, je désirais m’intéresser aux condition d’émergence du travail des artistes sur un territoire donné. Cependant, il s’avère que les artistes en résidence à La Malterie, on fait de Lille depuis plus ou moins longtemps leur lieu de vie. Le territoire local n’a donc, à quelques exceptions près, qu’assez peu d’influence sur leur pratique plastique. Le territoire est davantage envisagé du point de vue d’une stabilité familiale et/ou financière, beaucoup d’entre eux ayant un travail fixe dans l’enseignement ou dans des institutions culturelles en parallèle. Ces contraintes ne leur permettent pas de se consacrer à temps plein à leur pratique artistique. Néanmoins le tissu local est émaillé d’espaces d’art (privés et publics) et d’instances régionales offrant régulièrement des possibilités d’expositions et de rencontres avec un public ainsi que des aides pour le financement de leurs projets. L’accompagnement offert par La malterie est aussi important. Ils disposent d’un centre de ressource pour aborder toutes les questions liés au statut d’artiste, des rencontres avec des commissaires et critiques d’art invités sont organisées dans le cadre de différents programmes, et des évènements prennent place régulièrement pour présenter leur travail, des étapes de recherche, ou des échanges avec des professionnels ne s’inscrivant pas dans le milieu de l’art.
La Malterie accueille des artistes de différentes générations, et je me rends compte que les attentes des uns et des autres différent. Les plus jeunes sont davantage dans un esprit de professionnalisation, de reconnaissance artistique, et de succès commercial de leur pratique, tandis que leur ainé sont plus lucide sur leur situation au sein du milieu de l’art et le marché dans lequel ils s’inscrivent. Certains échanges, notamment avec des artistes sortis dernièrement de l’école et d’autre part, avec des artistes qui enseignent, ont permis de soulever les problématiques liés à l’harmonisation des système d’études européens, et de l’obligation aujourd’hui pour les étudiants en école d’art de maitriser un discours théorique sur une pratique qui est encore naissante. Le peu de temps laissé aux recherches plastiques amène à l’éviction rapide de certains profils, et tend à appauvrir la diversité de pratique des nouvelles générations. Un certain formatage pointant dans les pratiques et la manière de les envisager. D’autre part, la difficulté d’associer un travail d’artiste à la gestion d’un espace d’art indépendant a été soulevés lors d’un échange avec Sébastien Hildebrand, co-fondateur avec Boris Lafargue de l’artist-run-space Delta Studio à Roubaix, dont l’exposition actuelle rassemble les oeuvres d’une quinzaine d’artistes sur des questions liées à la récupération et au recyclage. Comment continuer à développer une pratique singulière lorsque l’on programme d’autres artistes? Comment faire face à l’impression de ne plus pouvoir créer sans avoir la sensation de s’inspirer involontairement de ce que l’on programme? Il y a indéniablement un peu de soit dans chaque proposition curatoriale et de fait dans le travail des artistes sélectionnés. Comment moins voir sur les autres, pour y voir plus clair sur soi même? Cette préoccupation est de plus en plus liée au développement d’initiatives d’artistes, et questionne la position morale de l’artiste programmateur.
Ce séjour m’a également permis de découvrir d’autres lieux, en plus de l’espace Delta Studio et de la Condition Publique à Roubaix (mentionnés plus haut) et du Fresnoy, que je connais bien pour y avoir travaillé par le passé et qui était en pleine phase de montage de Panorama, exposition montrant les travaux réalisés par les étudiants durant l’année. Le Bureau d’art et de recherche à Roubaix, qui opère en tant que galerie associative et développe un travail de quartier avec les populations locales autour des expositions et des invitations faites à des artistes d’investir le lieu. Ce sont actuellement Thierry Verbeke, Philémon Vanorlé et Laurent Lacotte qui exposent. Une délicate initiative de l’artiste Anne-Emilie Philippe qui invite régulièrement un artiste à faire une proposition pour l’ancienne vitrine des softs du Bar le Verlaine à Lille. Elle invite actuellement l’artiste strasbourgeoise Célie Fallière. Je suis également aller à Dunkerque pour découvrir le bâtiment du FRAC que je ne connaissais pas encore et les expositions du moment.