Chère Diane,
Aujourd’hui, je devais aller à Zurich pour la Manifesta 11. Au vue des prix des trains et de l’entrée, je renonce. Je sens que je vais beaucoup regretter. Je leur adresse une carte postale.
Du coup je retourne à Bâle, voir l’exposition de Calder et Fischli/Weiss à la Fondation Beyeler, puis les Swiss Design Awards. Quelques belles choses, notamment les photographies de Luca Zanier, mais rien de transcendant.
Le soir, je prends un verre avec Mickaël Roy, jeune commissaire d’exposition. Je suis ravie de le rencontrer. Il y a quelque mois, je m’étais inscrite à un projet d’envoi de textes critiques par mail initié par Mickaël dans le cadre d’Across, micro-résidences de commissaires d’exposition organisées par Claire Migraine et thankyouforcoming. Je n’ai jamais reçu de mail – Mickaël m’explique que les textes sont en cours de finalisation, qu’il faudra patienter encore un peu. Discussion riche sur les nouvelles formes du commissariat et de la critique d’art, nous discutons de toi, Diane, sur comment et pourquoi tu es – ou n’es pas – un outil critique. Mickaël a relevé des passages quelque peu elliptiques dans ma correspondance avec toi, il n’a pas tord de les questionner.
Quelle est donc cette relation épistolaire étrange et absurde, qui par le fait d’être publique, court-circuite les préceptes-mêmes de la correspondance : elle n’est ni confidentielle, ni réciproque. La libre expression qu’elle est censée permettre, n’opère pas. A quoi sers-tu donc? A passer de liens Internet? Es-tu un simple outil de communication parmi d’autres? Tu as ceci en commun avec la correspondance « classique » que tu permets de partager une pensée non aboutie, de l’amorcer, à défaut de pouvoir la développer, faute de place et de temps. Tu es mon pense-bête, mon carnet de note, mais as-tu besoin d’être publique pour cela? Thierry de Duve dit que l’adresse est de l’ordre de la prise d’otage dès lors qu’elle se fait devant témoins. Serais-tu mon otage, chère Diane? Si tel est le cas, et si je poursuis la logique de Thierry de Duve, tu me permettrais in fine d’accéder à la liberté – sinon à la mort. Il faudrait donc que je me la permette cette liberté que tu m’offres, sinon c’est un gâchis, pour toi et pour moi, ma chère Diane…
(Thierry de Duve, Bribes d’une théorie de l’otage et du témoin, in Essais datés II – Adresses, Genève, éditions Mamco, 2016)